pix by dessinateur de Garnet
- - - - - - - - - - - - - - - - -
Il pleut. Le ciel gris déverse sur la masse grouillante de voitures ses larmes glacées. J'aime la pluie. Au milieu du boulevard, je m'arrête, laissant mon regard parcourir les automobilistes qui klaxonnent et m'évitent, l'air furieux. J'étends les bras et je tourne sur moi-même, dansant sous la pluie. Je ris, renverse la tête et laisse les gouttes couler le long de mes joues.
Défoncée.
Puis soudain, j'entends un crissement de pneus et je la vois.
C'est une femme. Une femme vêtue de noir et à la peau d'ivoire, immobile comme un rocher sur lequel se fent l'eau d'un torrent. Les conducteurs ne semblent ni la voir, ni la toucher. Un feutre noir est posé sur ses longs cheveux, qui ne laissent deviner de son visage qu'un petit sourire satisfait et un œil rouge qui me surveille sans ciller.
Mes mouvements ralentissent, puis cessent. Je ne peut que la regarder, mes yeux ne peuvent se détacher d'elle, et des frissons parcourent mon corps. Le boulevard, quelques instants auparavant noir de monde, est vide. L'écho des gouttes qui tombent et s'éclatent sur le macadam à mes pieds résonne dans ma tête.
PlIc pLoC pLiC pLoC pLiC PlOc PlIc PlOc.
Elle semble flotter, flotter dans le brouillard. Ses lèvres s'entrouvrent, et un murmure plus puissant qu'un hurlement parvient à mes oreilles :
"Viens."
Incapable du moindre mouvement, je me noie dans cet œil, cet œil rouge comme un rubis, dans lequel je voie chaleur, sang, et amour, un éclat de feu dans ce monde gris et froid.
Elle tiens un grand parapluie, trop incliné pour protéger son visage de l'eau. Le laissant chuter à terre, elle glisse jusqu'à moi, et une main délicate remet en place une mèche de cheveux trempés.
"Tu ne seras pas seule, tu sais."
Toujours en trance, je hoche la tête et ouvre la bouche, mais elle pose un doigt sur mes lèvres, comme pour apaiser une bête appeurée.
"chhhHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH"
Le son est si fort que je ferme mes yeux.
Je me sens vaciller.
Quand je rouvre les yeux, je suis dans un monde de chaos. Confuse, je ne comprends pas comment je suis arrivée là. Je suis allongée sur le dos. Une douleur intense me perce la colonne vertébrale. Les cris se fondent en un vacarme épouvantable, tout le monde se jette vers moi, mes sens assaillis par le choc des couleurs, du bruit et de la douleur omniprésente. Un homme hurle quelque chose et secoue violemment mon épaule, envoyant des ondes de douleur dans mes veines. Une grosse voiture à côté de moi a le pare-choc couvert de sang. Seule la pluie est restée la même, indiférente et glacée.
Puis je sens sa main chaude qui une fois encore écarte mes cheveux collés par le sang de mes yeux écarquillés et pleins de larmes.
Ma tête est posée sur ses cuisses, et elle me caresse le visage. Chaque fois qu'elle me touche, une vague de chaleur me submerge, comme quand on glisse sous une couverture chaude un soir d'hiver, disparue sitôt que ses doigts brisent le contact avec ma peau. Son œil me regarde toujours, son sourire plein de douceur.
"Tu n'es pas seule."
Engourdie, je lui sourie, sentant le lourd poids de la fatigue peser sur mes yeux.
Elle m'embrasse le front.
"N'aie pas peur."
Confiante, je me détends, ne sentant plus rien sauf sa chaleur et la pluie. Disparu le bruit, envolée la douleur.
Ses longs doigts ferment délicatement mes paupières, et derrière elles je vois soudain une lumière resplendisante.
Je suis la lumière, et je ne sens plus la douleur.
Je ne sens.
Plus.
Rien.
- - - - - - - - - - - -